Voilà bientôt un an nous avons remis les Trophées des acteurs du libre 2019.

En raison du Covid, cette année il n’y aura ni Trophées ni Paris Open Source Summit, ce qui est vraiment dommage pour la communauté du libre ! C’est pourquoi cette année, nous avons voulu marquer l’anniversaire des trophées en faisant une interview de trois des vainqueurs de l’an dernier, sur le thème du « que sont-ils devenus », pour vous tenir informés de leurs aventures. Et nous vous donnons rendez-vous en 2021 pour les nouveaux Trophées.


PRIX DE LA MEILLEURE STRATEGIE 2019 – e.SNCF pour le projet TOCK

 

 

Initié en 2016 pour créer le bot de OUI.sncf grâce à des briques open source, Tock « The Open Conversation Kit » est une plateforme complète dédiée au NLU (Natural Language Understanding) et aux agents conversationnels. D’abord partagée sur l’espace GitHub de l’entreprise, la plateforme a migré cette année sur une organisation GitHub dédiée. La solution motorise de nombreux bots en production et fait référence dans le Groupe SNCF.

Où en est le projet, au niveau roadmap fonctionnelle, technique ?

En 2020, la plateforme Tock a continué de se développer avec deux versions majeures et une release chaque mois en moyenne. Avec l’aide de la communauté, Tock a gagné de nouvelles fonctionnalités pour couvrir toujours plus de besoins en gardant ses fondamentaux Open Source, de transparence et d’indépendance numérique : nouveaux outils (Tock Analytics et orchestration de bots), intégrations de nouveaux canaux (Allo-Media, Google Chat, SharePoint, toolkits React et Flutter), de nouvelles technologies IA/NLP (Rasa, Flair) et de suivi (ChatBase, MyFeelBack), support communautaire (client Python, support DocumentDB).
Le backlog s’étoffant et les acteurs se multipliant (utilisateurs, sponsors, communauté, support, ESN, etc.), 2021 devrait voir de nouvelles formes de contribution et de gouvernance Open Source pour Tock. Cela permettra que chaque organisation puisse facilement expérimenter différents modes de consommation ou de contribution, avec plus d’autonomie et une visibilité partagée sur la roadmap.

Où en est la communauté d’utilisateurs, a-t-elle augmentée, diminuée, ou est-elle stable ?

La communauté Tock s’est agrandie en 2020. Aux côtés de la SNCF, Enedis et AlloCovid ont aidé à faire connaître la solution à une plus large échelle, notamment avec des retours d’expérience comme au salons AI Paris ou Voice Tech.
Bien qu’elles ne soient pas toujours médiatisées comme AlloCovid, la crise sanitaire a fait naître de nombreuses initiatives basées sur Tock dans le domaine de la santé. Différentes petites et grandes entreprises ont lancé des projets ou expérimentations de Tock en 2020, et contribuent déjà au backlog parfois des pull requests. L’activité croissante sur Gitter permet de constater que Tock attire de plus en plus d’acteurs dans des domaines aussi variés que le transport, l’énergie, la banque ou la santé.

Où en est la communauté de contributeurs, a-t-elle augmentée, diminuée, ou est-elle stable ? Comment les gérez-vous ?

Les contributeurs à Tock sont plus nombreux en 2020 qu’en 2019. Des fonctionnalités importantes comme le support de Python ou des bases de données DocumentDB sont des contributions libres intégrées en 2020. De nouvelles organisations utilisant dorénavant Tock en production, elles remontent également anomalies et propositions d’évolutions qui viennent enrichir le backlog. Rien que pour Enedis en 2020, cela représente plus d’une quarantaine d’issues GitHub et de nombreux échanges pour améliorer la solutions. Associations et fondations Open Source comme le TOSIT, OW2, Eclipse, nous aident également à tracer les contours du projet pour la suite, grâce à leur expérience du logiciel communautaire.


PRIX DU MEILLEUR PROJET 2019 – ICIJ pour DATASHARE

 

 
Datashare est un outil gratuit et open source développé par l’équipe technique de l’ICIJ. Ce logiciel permet d’indexer de larges corpus de documents, jusqu’à plusieurs tera, de façon confidentielle. Le Consortium International des Journalistes d’Investigation (ICIJ) est un réseau international de plus de 250 journalistes et d’entreprises de presse venant de 90 pays et territoires, qui travaillent ensemble sur de grandes enquêtes internationales.

Où en est le projet, au niveau roadmap fonctionnelle, technique ?

En 2020, Datashare a développé de nouvelles fonctionnalités, telles que Datashare as a Platform pour ajouter des plugins, Datashare Light pour faciliter son usage, mais aussi la recherche en lot, un tableau de bord et un suivi statistiques, etc. En plus du français, de l’espagnol et de l’anglais, Datashare est maintenant disponible en japonais.
Pour 2021, l’équipe de Datashare prévoit:
– Un Mode serveur pour faciliter et documenter l’utilisation de Datashare sur un serveur, afin que d’autres organisations puissent travailler ensemble sur des documents.
– DatashareNetwork pour développer, en parallèle, la recherche décentralisée dans les documents d’utilisateur•ices au sein d’un réseau de pair-à-pair sécurisé.

Où en est la communauté d’utilisateurs, a-t-elle augmentée, diminuée, ou est-elle stable ?

Le nombre de téléchargements de Datashare a augmenté de 69% entre 2019 (année du lancement de la bêta) et 2020, avec 4 538 téléchargements en 2019 contre 7654 en 2020. Le nombre de visiteurs uniques sur le site de Datashare ( datashare.icij.org ) a enregistré une hausse de 20% entre 2019 et 2020, avec 12 000 visiteurs uniques entre le 1er janvier 2020 et le 16 novembre 2020 contre 10 000 visiteurs uniques entre le février 2019 date de lancement, et le 31 décembre 2019.
Une cinquantaine utilisateur•ices nous ont contacté•es via l’adresse datashare@icij.org ou via notre GitHub ICIJ / datashare pour des questions, des suggestions ou des contributions.

Où en est la communauté de contributeurs, a-t-elle augmentée, diminuée, ou est-elle stable ? Comment les gérez-vous ?

Au regard des échanges que nous avons avec les utilisateur•ices et contributeur•ices de Datashare, la communauté nous semble croissante. Pour faciliter les contributions de la communauté, nous avons développé le système de plugins de Datashare en novembre 2020. La même année, un utilisateur a développé Spacy-for-datashare afin d’utiliser le logiciel de traitement de langage naturel SpaCy avec Datashare.

La perception de l’open source en interne à votre structure a-t-elle évolué ?
L’ICIJ continue de n’utiliser que des outils open source. La perception en interne est toujours excellente ainsi qu’avec nos partenaires technologiques, eux-mêmes tous dans l’open source.

Votre succès au concours des acteurs du libre a-t-il eu un impact?

L’impact du prix a été positif pour l’ICIJ. Unique source de revenus de l’ICIJ, nos donateurs
internationaux ont été sensibles au succès de Datashare au concours des Acteurs du Libre, événement qui figure dans le rapport annuel 2019 de l’ICIJ, page 17 .


PRIX DE L’INNOVATION OPEN SOURCE 2019 – AXIOM POUR G1

 
La monnaie libre Ḡ1 est un projet Français mettant en œuvre les travaux de la Théorie Relative de la Monnaie (TRM) écrite par Stephane Laborde en 2010. Il s’agit d’une crypto-monnaie dont la création monétaire s’exécute uniquement par le biais d’un Dividende Universel (DU), égal pour tous ses membres, respectant ainsi la symétrie spatiale et temporelle.

Où en est le projet, au niveau roadmap fonctionnelle, technique ?

Elois, notre développeur principal, a repris la totalité de la maintenance et du développement du projet Duniter, auquel il se consacre désormais à plein temps. Il adapte lentement Duniter en RUST, et la version finale devrait voir le jour d’ici deux ou trois ans. Au niveau “économiquebusiness” (en G1 uniquement), des réseaux locaux se mettent en place dans les zones où se concentrent les membres, comme à Toulouse par exemple, où les G-marchés sont nombreux et où même des commerces acceptent la G1, mais le marché est encore limité avec 2800 membres.

Où en est la communauté d’utilisateurs, a-t-elle augmentée, diminuée, ou est-elle stable ?

La communauté est restée stable et a même légèrement augmenté, ce qui est remarquable compte tenu des circonstances sanitaires empêchant la Toile de Confiance de pouvoir s’agrandir normalement. Nous avons su profiter des opportunités pour échanger et nous rencontrer quand c’était possible… Rien ne s’est vraiment arrêté, ni les rencontres qui se sont faites en visioconférence quand elles étaient impossibles IRL, ni les échanges qui ont continué tout du long grâce à notre plateforme d’échange (https://gchange.fr). Mais le fait de ne pas pouvoir organiser de rencontres régulières a ralenti le processus des certifications, et donc notre croissance.

Où en est la communauté de contributeurs, a-t-elle augmentée, diminuée, ou est-elle stable ? Comment les gérez-vous ?

La communauté des contributeurs est stable, avec quelques nouveaux prometteurs. Le problème n’est pas l’augmentation des contributeurs occasionnels (qui sont la majorité et indispensables) mais le fait qu’on ait très peu de “permanents”.
S’impliquer fortement dans notre projet s’apparente à un vrai sacerdoce, car il est difficile de ne vivre qu’avec des G1, et nous cherchons donc des perles rares; mais la cohérence est à ce prix.

Par choix, nous ne « gérons » pas nos contributeurs, ils se gèrent tous seuls. Nous avons une organisation très décentralisée qui laisse une grande liberté à chacun dans sa contribution. Ils perçoivent un revenu mensuel en G1 variable selon l’importance de leur contribution, assuré par une caisse de dons réguliers des utilisateurs. Le budget de cette caisse est en augmentation : tout le monde ou presque contribue. Nous avons aussi beaucoup de projets collaboratifs qui voient le jour grâce à des financements participatifs en G1, indépendants de cette caisse commune.

La perception de l’open source en interne à votre structure a-t-elle évolué ?

Dans la Monnaie Libre, il n’y a quasiment que des libristes chez les développeurs. L’Open Source est déjà pour beaucoup d’entre nous un compromis avec les valeurs du Libre telles que définies par les licences GNU GPL, mais nous estimons que ce compromis est acceptable et de toute façon préférable au propriétaire. [NDLR: Bien que souvent confondus, les termes Open Source et Logiciel Libre peuvent effectivement correspondre à des paradigmes différents, c’est ce à quoi il est fait référence ici.]

Votre succès au concours des acteurs du libre a-t-il eu un impact?

En dehors du plaisir de voir le travail des développeurs reconnu par leurs pairs et un bel encouragement à persévérer, cela nous a permis :
– de convaincre la mairie de Paris de nous prêter une salle,
– d’être reconnu par les milieux universitaires (une thèse sur la G1 est en cours à Jussieu),
– d’avoir un témoignage “officiel” du caractère innovant de notre projet.

Il faut savoir que la création monétaire de la G1 étant basée sur l’espérance de vie, l’expérimentation est censée durer quatre-vingt ans. Nous n’en sommes qu’à trois ans d’existence : La G1 reste un beau bébé.

Commentaire libre

La Monnaie Libre est selon nous plus proche d’un projet de société que d’une cryptomonnaie. Sa profonde horizontalité est en rupture totale avec le modèle vertical que l’on connait : elle nous montre qu’une autre voie est possible. Très peu énergivore, c’est aussi une alternative écologique crédible. Enfin, elle n’est sous contrôle d’aucun état, d’aucune banque, d’aucun partenaire : elle appartient à tous. Le code est d’ailleurs accessible sur un gitlab et les forks sont les bienvenus !


PRIX DU DEVELOPPEMENT INTERNATIONAL 2019 – PRESTASHOP

 
PrestaShop est un logiciel open source permettant de créer un magasin en ligne et de développer une activité. Il est disponible librement sur prestashop.com et développé de manière collaborative sur github.com/prestashop. Étant développé en PHP/MySQL, il est facile de l’installer chez presque tous les hébergeurs webs.

Où en est le projet, au niveau roadmap fonctionnelle, technique ?

Nous continuons d’avancer sur la migration vers le framework Symfony. Cette migration progressive, en supportant beaucoup de code “ancien”, permet à notre écosystème de migrer progressivement vers la nouvelle technologie. Nous travaillons sur la livraison 1.7.7 qui sera la plus grosse version de PrestaShop jamais publiée (nombre de pull requests, de issues résolues, de contributeurs, etc.).

Où en est la communauté d’utilisateurs, a-t-elle augmentée, diminuée, ou est-elle stable ?

Avec la COVID, de nombreux commerces traditionnels se mettent à la vente en ligne pour assurer une continuité de leur activité pendant le confinement, ce qui fait que nous avons beaucoup de travail. PrestaShop est particulièrement bien adapté pour les commerçants établis: étant open source, il est facile de trouver les connecteurs pour la compta, les stocks, etc, et des thèmes et extensions pour personnaliser, ou en faire une marketplace. La stack PHP+MYSQL fait qu’on peut l’héberger très facilement et à peu de frais pour démarrer. Et le côté ouvert est aussi pertinent car on reste propriétaire des données de sa boutique. De nombreuses offres et solutions de boutiques en lignes solidaires basées sur PrestaShop sont issues de la communauté, avec l’appui de collectivités locales.

Où en est la communauté de contributeurs, a-t-elle augmentée, diminuée, ou est-elle stable ? Comment les gérez-vous ?

Au niveau du développement du logiciel, à chaque nouvelle version, nous avons toujours plus de contributeurs, réguliers comme nouveaux. Cela conforte aussi les choix faits ces derniers temps. La feuille de route et les spécifications sont disponibles sur GitHub, l’espace de travail du projet ; la transparence est un élément de confiance très important. Nous documentons le plus possible l’architecture du logiciel et comment contribuer, tester. Rédiger de bons rapports de bug, faire un pull request de qualité, respecter les standards et le style commun au logiciel, ça s’apprend, on essaie donc d’accompagner autant que possible les nouveaux venus.
La grosse nouveauté: ce trimestre, le projet a accueilli ses deux premiers mainteneurs non salariés de l’entreprise PrestaShop. C’est une grande première étape vers encore plus d’ouverture du projet et de sa gouvernance. Enfin, au niveau de la traduction, nous continuons d’avoir des demandes pour ajouter des nouvelles langues sur Crowdin. Et nous sommes toujours ravis d’accueillir des traducteurs et des relecteurs.

La perception de l’open source en interne à votre structure a-t-elle évolué ?

Expliquer l’open source en interne, mais aussi à l’écosystème, c’est une grosse partie de mon travail en tant que Open Source Evangelist. Le défi, c’est que suivant l’activité des personnes et leurs responsabilité, il faut adapter les explications et savoir se rendre disponible. La compréhension des méthodes de développement, la distinction entre projet, produits et services, etc. est maintenant bien comprise. Cela amène d’ailleurs à des réflexions stratégiques importantes au niveau gouvernance du projet (nous réfléchissons par exemple à créer une fondation pour le projet PrestaShop).

Votre succès au concours des acteurs du libre a-t-il eu un impact?

Je dirais que gagner ce prix nous a permis de renforcer notre visibilité dans le monde de l’open source et dans le e-commerce international, grâce à la couverture liée à ce concours. Lors de l’événement, déjà, plusieurs dirigeants de grosses ESN sponsorisant le Paris Open Source Summit sont venus nous rencontrer, c’est un premier pas. De nombreux sites et revues spécialisés ont relayé notre prix pour le développement international, ce fut l’occasion de faire une bonne campagne de communication. Donc, cela nous a donné une belle visibilité sur le moment.